Le Feu
par Mariette
Les cheminées fumantes enveloppaient le Pays Des Coeurs d'une brume artificielle, et firent tousser Fourchette. Celui-ci marchait, de plus en plus vite, gagné par l'excitation... Apercevant la photographie d'un palmier, il se prit à rêver à un voyage, un long et beau voyage... aux côtés de celle qu'il rejoignait. Sans trop savoir comment, il se retrouva devant la porte.
Sans attendre, il sonna. Quelques secondes s'écoulèrent. Les tempes de Fourchette battaient. Comme personne n'ouvrait, il sonna une nouvelle fois. Mais rien ne se passa. Il frappa, sonna, frappa, sonna encore et encore... puis il décida d'attendre.
Il attendit une heure. Puis deux. Au bout de trois heures, désespéré, il se leva, et après avoir sonné une dernière fois, tourna les talons et s'en alla. Mais à peine fut-il en route qu'un bruit de verrou attira son attention. Il fit volte-face, et aperçut Saucisse sur le pas de la porte.
- Je... excuse-moi, dit-elle. Je suis désolée, je... je...
- Tu es si passionnée, la coupa Fourchette.
- Entre, ajouta Saucisse.
Arrivé au salon, Fourchette s'assit dans un fauteuil et soupira.
Il ferma les yeux, et bailla.
- Viens sur mes genoux, dit-il à Saucisse. Je vais te raconter quelque chose.
Celle-ci obtempera, et fit comme si elle ne se doutait de rien. Mais elle savait exactement ce qui allait se passer. D'ailleurs, elle ne fut pas sitôt près de lui qu'il la serra dans ses bras et se mit à l'embrasser fougueusement. Peu après, elle le regarda et lança:
- Tu es tellement prévisible que tu en es touchant!
- Ah oui? Fit Fourchette. Ça, c'est ce que tu crois. Car j'ai la preuve du contraire.
- J'aimerais bien voir ça!
- Viens, je vais te le dire en secret... dit-il.
Mais Saucisse, pas dupe, se jeta sur lui avant qu'il n'ait eu le temps de tenter quoi que ce soit, et l'embrassa à son tour.
Ils se regardèrent. Fourchette approcha sa bouche de l'oreille de Saucisse et chuchota:
- Je t'aime...
Bien sûr, il lui avait déjà dit qu'il l'aimait. Bien sûr, il lui avait dit des milliers de fois. Mais ce sentiment était toujours le même. Il voulut le lui dire.
- Cela ne fait que quelques jours que nous nous sommes vus, et je voulais que tu saches que tu es mon premier amour. Le premier et le dernier.
- Voyons... tu vas me faire rougir, murmura Saucisse.
- Pourquoi? S'écria-t-il. Tu es la personne la plus fabuleusement grillée que je n'ai jamais connue! La plus fabuleusement grillée de tout Pays Des Coeurs! Les gens ne t'arrivent pas à la cheville.
- Mais et toi, tu es si rude...
- Cela n'est rien à côté de toi. Lorsque je t'embrasse, j'ai l'impression que je m'envole. Quand je te quitte, j'ai l'impression que mon coeur se fait piétiner par un féroce rat, ou transpercer par mille lances empoisonnées.
- Mais toi aussi, Fourchette, tu as beaucoup de qualités...
- Ma puce... Saucisse...
Mais il ne put continuer. Une fois de plus, leurs lèvres se rejoignirent. Ils déliraient presque tant la fièvre les gagnait... ils étaient en haut d'un rosier, en train de manger à l'air libre. Près d'eux, Musique chantait ''Morceau De Musique'' en les regardant. Comme frappé d'un coup de foudre, Fourchette fasciné eut à peine le temps d'apercevoir, dans un éclair, comme dans une toile de Moi, Saucisse réincarnée en sirène... Ecume bouclée, vagues ébouriffées, ciel baigné de nuages qui font cligner la lune, commissures nacrées de lèvres de coquillages, le sourire émaillé de corail blanc, la voix lactée et les seins nus étoilés de mer... tout disparut lorsque Fourchette rouvrit les yeux.
- Marions-nous...
- Pourquoi n'est-ce pas déjà fait?
Ils rirent. Ils étaient heureux.
Ils restèrent ainsi toute la nuit à se regarder dans le blanc des yeux. Parfois, ils s'embrassaient. Parfois, ils parlaient.
- Ne me quitte jamais, disait Fourchette.
- Je ne te quitterai jamais. Tu es bien trop piquant pour que je te quitte, répondait Saucisse. Tu es l'opposé de la bêtise, de la brutalité... tu vaux bien plus que ce rustre de Couteau. Je ne sais pas comment j'ai fait pour lui trouver du charme.
Et ils s'embrassaient. Puis ils s'embrassaient une nouvelle fois.
Ils s'embrassèrent pendant des heures. Des jours. Des années. Si d'aventure vous ne croyez plus à l'amour, sachez qu'en ce moment même ils s'embrassent quelque part.